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Dans nos jugements sur les actions des hommes, nous nous égarons souvent, en vertu de l'association qui se fait sous l'influence de la passion, entre telle vertu et telle opinion, telle qualité et telle nation. Ainsi il suffit souvent de savoir l'opinion, la classe, le pays d'un individu, pour voir en lui un homme vertueux ou méchant les fausses associations d'idées sont le principe d'une foule de sophismes.

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L'association, par les rapports de différence, donne lieu à des méprises de langage qui se reproduisent très-fréquemment pour les esprits inattentifs. Il leur arrive très-souvent de dire précisément le contraire de ce qu'ils veulent énoncer : c'est que l'idée présente a réveillé l'idée opposée qui lui était associée, et que les mots qui sont, comme nous le verrons plus tard, la forme substantielle de la pensée, s'étant produits en même temps, la langue, dans la distraction de l'esprit, prononçant l'un des deux indifféremment, a laissé passer celui qui ne convenait pas. C'est jouer de malheur; mais dans la pensée comme dans l'action, le malheur est le juste prix de l'inattention.

L'association des notions métaphysiques s'opère non-seulement entre ces notions, mais entre leurs éléments; tel élément s'unit avec la totalité ou seulement avec quelque partie d'un autre. Ces combinaisons, qui se multiplient à l'infini, engendrent, par l'accouplement qu'elles opèrent, les conceptions les plus belles ou les plus étranges, selon la nature et les rapports de leurs molécules organiques, s'il est permis de parler ainsi.

L'association des images s'accomplit de la même manière. Une image s'unit à l'autre dans le cerveau, et lorsque la partie de l'appareil cérébral qui les contient est ébranlée, elles se reproduisent simultanément ou successivement. En outre, les éléments de ces images, isolés par l'abstraction, peuvent se réunir et former des images nouvelles qui n'ont point de type extérieur dans la nature. C'est ainsi que se forment les composés les plus sublimes et les plus bizarres; le beau idéal et le grotesque n'ont pas d'autre origine : ces sortes d'images sont de véri– tables créations, et la faculté qui les produit prend le nom d'imagination, faculté complexe dans laquelle nous trouvons l'abstraction qui divise les notions composées ; et l'association des idées qui réunit des éléments épars, rapproche et confond dans un type nouveau des traits empruntés à diverses figures.

XV.

1. De l'Activité et de ses divers caractères. 2. De l'Activité volontaire et libre. --3. Décrire les phénomènes de la Volonté et toutes ses cir

constances.

1. De l'Activité et de ses divers caractères.

L'Activité, c'est la force en action; mais l'action ne se produit pas uniformément, elle est spontanée ou volontaire, et elle est spontanée avant d'être volontaire ; car comment voudrait on agir si l'on n'avait pas agi d'abord sans le vouloir? Ignoti nulla cupido.

La spontanéité est donc la première forme de l'activité. Les premiers mouvements du corps, comme ceux de l'intelligence et de la sensibilité, sont donc involontaires. L'enfant se meut spontanément pour satisfaire les besoins de son corps; c'est par un mouvement spontané qu'il dirige les organes de la perception externe vers les causes physiques, premières causes de ses connaissances; c'est spontanément qu'il en affirme l'existence, et qu'il se détermine à agir en raison de ses idées et de ses sentiments. La réflexion, c'est-à-dire le retour de l'âme sur elle-même, suppose un mouvement primitif en ligne droite, parti du sujet pour aller à l'objet. La force est déterminée à l'action en vertu de sa propre énergie, et aussitôt qu'elle est avertie de son existence par le sentiment, elle se déploie fatalement. Mais l'âme n'est pas seulement douée d'une force d'expansion, elle peut aussi se concentrer et revenir sur elle-même. La respiration qui, dans son double mouvement, est l'expression de la vie physiologique, est aussi l'emblême de la vie psychologique. Dans son mouvement réfléchi, l'âme prend possession d'elle-même; et lorsqu'elle reproduit les actes de la spontanéité, c'est elle qui les détermine et les dirige : cette seconde forme de l'activité constitue la volonté.

L'activité nous apparaît donc sous deux formes diverses qui sont la manifestation d'un principe unique : c'est la même force qui agit dans la spontanéité et dans la volonté ; mais le mode d'action est différent. La volonté suppose un retour de la force sur elle

même, tandis que la spontanéité est un développement primitif et instinctif.

2. De l'Activité volontaire et libre. -3. Décrire les phéno

mènes de la Volonté et toutes ses circonstances.

La Volonté est un fait complexe ; nous avons vu qu'elle avait pour antécédent nécessaire la spontanéité : nous allons examiner maintenant comment elle se produit, et quels sont les éléments qui la complètent. D'abord l'âme, dans son retour sur ellemême, se possède et se maintient; mais se posséder, se maintenir, c'est agir négativement; c'est, pour emprunter une expression de M. Damiron, stationner avec énergie, mais non aller en avant. Dans cette situation, il n'y a pas de raison d'agir : avant de se déterminer à l'action, il faut un motif qui donne l'impulsion. Que manque-t-il à l'âme pour avancer et se déterminer de quelque façon ? La connaissance de la route qu'elle doit prendre et tenir. Elle cherche donc cette route, elle regarde, elle considère, elle entre en un mot en délibération; la délibération, suivant l'objet qui la provoque, met en jeu tout ou partie des facultés de l'intelligence. Cette opération complexe aboutit à la décision ou détermination, résolution d'agir ou de ne pas agir, selon l'occurrence. Quand la décision est affirmative, l'âme se porte à l'action et l'accomplit selon son pouvoir. Que l'action s'exécute, et qu'elle mette à bonne fin la détermination prise, ou qu'elle échoue par l'infé

G. Philos.

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riorité relative des moyens employés, peu importe: le fait psychologique de la volonté est complet, lorsque l'âme, après s'être possédée, s'est mise à délibé– rer, et que la délibération, suivie d'une décision, a pris un commencement d'exécution. La volonté se compose donc de quatre faits élémentaires : possession, délibération, détermination, action. Ces quatre faits s'enchaînent l'un à l'autre, de telle sorte que la délibération est en raison de la possession, la détermination en raison de la délibération, et l'action en raison de la détermination. En effet, si l'âme ne se possédait pas complètement, si la fatalité des passions ou l'infirmité de ses moyens de connaître troublait l'exercice de ses facultés, la délibération souffrirait de cette impuissance. La détermination à son tour serait mauvaise et contraire à la raison, si la délibération avait été incomplète ou mensongère. Il faut cependant remarquer, à propos de la détermination, qu'elle n'est pas précise en raison des lumières, mais de la foi que la délibération a engendrée; d'où il résulte que la détermination n'est pas l'expression de l'étendue, mais de la fermeté de l'esprit. Les esprits étendus faisant porter la délibération sur une grande surface, sont plus exposés à demeurer dans le doute ou à n'atteindre que la probabilité; tandis que les esprits étroits, ne voyant qu'un point ou qu'un côté des choses, y concentrent toutes leurs forces et arrivent plus facilement à la foi qui est le principe de la détermination; quant à l'action, elle est toujours en raison directe de la détermination, énergique si la

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