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30 Écoles d'Élée.

Xénophane, chef de la secte éléatique, naquit à Colophon, 550 ans avant J. C., et vécut cent années.

Il fut banni pour avoir dit dans un poëme, qu'il est absurde de penser avec Homère et Hésiode, que les dieux naissent et meurent. Il se retira en Sicile, où il fut réduit à chanter ses vers au peuple.

Sa secte fut nommée Eléatique, parce qu'elle dut sa célébrité à Parménide, Zénon et Leucippe, tous trois d'Elée, ville fondée en Italie par les Phocéens, lorsqu'ils abandonnèrent leur patrie pour se soustraire à la domination des Grecs.

Xénophane ne regarda plus le monde matériel comme évident, mais seulement comme vraisemblable. Le dissentiment des hommes sur les qualités des objets sensibles, les changements de forme que subissent à nos yeux les corps selon la distance qui nous en sépare, en un mot toutes les erreurs que l'on attribue aux sens, sont le principe de cette réaction contre l'évidence physique : cette nouveauté caractérise l'esprit philosophique de la secte d'Elée. Zénon, par la pente naturelle qui pousse les disciples à outrer les erreurs du maître, nie tout à fait l'existence du monde des sens : son scepticisme sur ce point devint dogmatique.

Parménide mit dans tout son jour l'opposition des sens et de la raison, et il condamna les sens par la raison. «<Les sens, dit-il, n'offrent que des apparences des impressions, la raison s'appuie sur des déductions,

et prononce sur la vérité et la réalité des choses. Tout ce que l'entendement conçoit est quelque chose, et ce qui n'est rien ne peut être conçu; » d'où Parménide conclut, avec des formes de raisonnement assez rigoureuses, que tout est immuable, et qu'il n'y a qu'une substance unique et immense.

Zénon et Parménide, logiciens subtils, et sceptiques par rapport au monde sensible, sont les précurseurs des sophistes.

L'école éléatique se divise en deux branches, la secte métaphysique, dont nous venons de nommer les principaux représentants, et la secte des physiciens, illustrée par Leucippe et Démocrite.

Leucippe essaya de réconcilier les sens et la raison, et voici comment il s'y prit. Il distingua les composés des éléments qui les forment; ces éléments sont simples, indivisibles, leur nombre est infini: voilà la raison satisfaite. Les combinaisons de ces éléments varient sans cesse, et opèrent la génération et la dissolution des corps : ce qui justifie les sens. Leucippe, au lieu d'un seul être, en admettait une infinité qu'il appelait atomes; il avançait que les différentes combinaisons de ces atomes, suffisaient pour former les corps qui sont dans l'univers et l'univers lui-même.

Démocrite, successeur de Leucippe, a développé le système de son maître. La notion abstraite de la matière lui servit de type pour la définition qu'il donne des atomes, et il leur attribue des propriétés plus simples. Il prétendit prouver leur existence éternelle, à l'aide de ce principe, rien ne se fait de rien,

et crut résoudre le problème de l'origine des choses, en supposant que les temps n'ont pas commencé. On ne peut, dit-il, demander la raison pour laquelle les choses sont, parce qu'elles n'ont point commencé d'être on ne peut que demander la raison qui nous autorise à juger de leur existence. Selon Démocrite, les seuls objets réels, les atomes invisibles à nos sens, agissent sur l'entendement, et lui transmettent des images voltigeantes qui servent à les retracer dans l'esprit; car le semblable seul peut agir sur le semblable: cette connaissance transmise à l'entendement par les atomes, nous instruit seule de la vérité. La morale de Démocrite est la poursuite du bonheur : «< sois heureux, cù čσto», est le seul précepte qu'il donne; le moyen de l'accomplir, c'est l'égalité d'humeur; mais il ne donne pas de recette pour l'atteindre la conserver.

et pour

Le plus célèbre des disciples de Démocrite fut Métrodore de Chios, qui prétendait douter de son doute ce qui implique contradiction, puisque l'expression du doute même dubitatif est une affirmation. On distingue parmi les adeptes de la philosophie atomistique, Nausiphane de Téios, maître d'Epicure, et Anaxarque d'Abdère, contemporain et ami d'Alexandre le Grand.

Le système entier des éléatiques physiciens n'est qu'une suite des idées de Pythagore, considérées d'une manière plus matérielle. Dans les deux systèmes, l'unité ou la monade est le principe des choses; tout en dérive par des lois de combinaison: ces deux

systèmes sont l'un à l'autre ce que la géométrie est à

la mécanique.

4o Les Sophistes.

Les Sophistes proprement dits naquirent du conflit de ces différentes sectes. Leur philosophie est de n'en point avoir : ils jouent avec les mots et les idées dont ils abusent également. Ces effrontés et frivoles corrupteurs de la morale, ont les premiers donné au monde le plus déplorable des spectacles; le talent sans conscience, l'intelligence livrant aux mépris de la foule les trésors de la pensée, sacrifiant toute dignité pour faire parade de ses forces, orgueilleuse de ses misères et triomphante dans sa propre immolation. Parmi ces jongleurs de la science, dont le ridicule et le mépris disputent les noms à l'oubli, on peut citer Gorgias Protagoras, Prodicus, Polus, Thrasymaque, Calliclès, Hippias.

Le premier qui se présente est Gorgias, qui vivait 417 ans avant J. C.; il avait été envoyé à Athènes par les Léontins ses compatriotes, pour demander des secours contre les Syracusains. Il étonna toute la Grèce assemblée aux jeux Olympiques, il monta sur le théâtre d'Athènes et s'offrit à parler sur toutes les matières : son éloquence eut un succès prodigieux. Il servit de modèle à Isocrate qui fut plus sage que lui.

Zénon avait armé la raison contre les sens, Gorgias arma la raison contre elle-même, et chercha à prouver : 1o qu'il n'existe rien de réel; 2° que lors même qu'il existerait quelque chose de réel, nous ne

pourrions le connaître; 3° que lors même que nous aurions quelque connaissance, nous ne pourrions la transmettre aux autres à cause de l'incertitude attachée aux mots. Ces trois maximes servent de texte aux trois divisions de son livre sur la nature.

Protagoras fit consister l'entendement dans la faculté de sentir, et, appliquant à ce principe ce que les éléatiques ont dit de la mobilité des choses sensibles, il arrive, avec des expressions différentes, aux mêmes résultats que Gorgias. « Chaque homme, dit-il, est la mesure et le juge de toutes choses; il n'y a de vrai et de réel que ce qu'il se représente. Cette réalité et cette vérité varient selon les individus ; ainsi tout est relatif, tout est dans un flux et reflux perpétuel ; chacun affirme à bon droit les choses les plus contradictoires, et toute proposition est opposée à une proposition contradictoire, également fondée sur la nature. >>

Ainsi l'école d'lonie avait admis la certitude des sens, et l'école Italique celle de la raison; les sophistes rejetèrent l'une et l'autre, et n'accordèrent de foi qu'à la conscience qu'ils firent la mesure et l'arbitre de la vérité. Arrivée à ce point la philosophie périssait avec l'entendement lui-même, et le temps. était venu de replacer la certitude sur sa triple base: cette tâche fut celle que Socrate s'imposa.

La période philosophique, dont nous venons de tracer l'histoire, est riche en systèmes et en noms illustres. Les immenses travaux des philosophes qui la remplissent ne nous sont guère connus que par la tradition; mais elle suffit pour nous faire voir que dans

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