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ordres : ces reproches sont des blasphêmes. L'homme a sur la terre la plus belle part entre toutes les créatures; il doit en reporter l'hommage à celui dont il l'a reçue.

Ainsi Dieu est, par rapport à l'homme, une force supérieure et bienfaisante; l'homme doit donc se soumettre à son autorité, et reconnaître ses bienfaits par son amour : cette soumission et cet amour constituent la religion, qui est la société de l'homme avec Dieu, comme la société est l'union de l'homme avec ses semblables. La religion rattache l'homme à Dieu, la terre au ciel; elle est comme cette double échelle de la vision de Jacob, par laquelle les anges du Seigneur descendent pour apporter aux hommes les ordres de Dieu, et remontent pour porter au ciel les prières et les vœux de la terre. La religion donne le mot de l'énigme de la vie, elle éclaire la marche de l'homme dans les ténèbres du monde, elle lui enseigne son origine, sa voie et son but. Sans l'idée de Dieu, et sans l'affection qui nous reporte vers lui, la terre n'est plus qu'un séjour maudit où triomphent toutes les mauvaises passions. L'humanité détachée de Dieu par l'athéisme, marcherait dans le désordre à la destruction.

Les sentiments religieux, c'est-à-dire la soumission aux ordres de Dieu, et l'amour que nous lui rendons, en retour de ses bienfaits, composent l'adoration ou le culte intérieur; mais ces sentiments de l'âme doivent avoir une expression qui les manifeste. Il est impossible que le cœur soit ému sans que l'émotion

se porte au dehors par des signes sensibles; ces signes, qui sont l'expression du fait intérieur, constituent le culte extérieur : là, comme ailleurs, le fond emporte la forme. De même que la pensée est poussée hors de l'intelligence par la parole, de même le sentiment religieux se produit par le culte extérieur. Condamner l'amour de Dieu à demeurer dans le sanctuaire de l'âme, c'est aller contre toutes les lois de la nature. Ce qui est, se manifeste nécessairement ; et ceux qui élèvent le culte intérieur aux dépens du culte extérieur, et qui ne voient qu'hypocrisie ou vaines pratiques dans l'expression des sentiments religieux, ceux-là ignorent absolument la puissance de l'amour et la loi de son développement.

Le culte extérieur est au sentiment religieux ce que la parole est à la pensée ; il le fortifie en l'exprimant. Le culte extérieur agit sur le sentiment de plusieurs manières; il le fixe en lui donnant, pour ainsi dire, un corps, et il le redouble en le réfléchissant. S'il est vrai que le Jupiter de Phidias ajoutait à la religion des peuples, pense-t-on que les pompes religieuses du christianisme n'aient pas favorisé le développement des croyances qu'elles manifestaient? Entrons par la pensée dans l'une de ces prodigieuses basiliques que le moyen âge a élevées à la gloire de Dieu; représentons-nous la foule agenouillée aux pieds des autels et mêlant à la voix sublime de l'orgue éclatant comme un tonnerre, ces pieux cantiques qui, dans leur langue obscure, sont comme les notes d'une musique mystérieuse et sacrée, et demandons-nous si G. Philos.

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cette puissante expression du sentiment ne le redoublait pas dans le cœur des fidèles? Pour nous, quelle que soit la froideur de nos âmes, il ne nous est pas donné de pénétrer sous les voûtes d'une cathédrale gothique, de lever les yeux vers les vitraux resserrés par des ogives, et projetant dans l'enceinte une lueur éclatante et sombre, sans nous élever à Dieu, et sentir qu'il y a au-dessus de nous une puissance souveraine que nous ne pouvons pas braver impunément.

Le culte extérieur ne vaut que par le culte intérieur. Il arrive souvent aux esprits faibles de prendre la forme pour le fond, et de mettre toute leur foi dans des pratiques et des formalités; il arrive aussi que la fourberie se couvre des apparences de la religion pour arriver à des fins criminelles. Mais la superstition et l'hypocrisie ne peuvent pas prévaloir contre les avantages du culte extérieur, lorsqu'il est vivifié par l'esprit religieux; on ne doit pas, sous le prétexte que la religion n'est qu'une forme pour les uns, et un masque pour les autres, proscrire l'expression du sentiment religieux : il faudrait, en vertu du même principe, supprimer la parole, parce qu'elle sert à quelques-uns pour voiler des non-sens, ou pour déguiser la vérité. « C'est être superstitieux, dit Pascal, que de mettre son espérance dans les formalités et dans les cérémonies; mais c'est être superbe de ne pas vouloir s'y soumettre. »

HISTOIRE

DE LA PHILOSOPHIE.

XLI.

Quelle méthode faut-il appliquer à l'étude de l'Histoire de la Philosophie.

«L'Histoire de la Philosophie ne crée pas les systèmes philosophiques, elle les constate et les explique; sa tâche est de n'oublier aucun des grands systèmes que l'esprit humain a produits, et de les comprendre en les rapportant à leur principe; savoir: l'esprit humain, cet esprit que chacun de nous porte tout entier en lui-même, que chacun de nous peut donc étudier et consulter en lui-même, afin de le comprendre dans les autres, de comprendre tout ce qu'il y a produit, et tout ce qu'il peut y produire 1. » Ceci posé, c'est-à-dire que l'histoire de la philosophie est celle de l'esprit humain, il est clair que pour s'orienter dans cette histoire, il faut débuter par la connaissance de l'esprit humain, en constater les éléments, et déterminer la marche qu'il a dû suivre en vertu de sa nature. Si l'on entreprenait l'histoire

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COUSIN, Cours de l'Histoire de la Philosophie, 1829, tom. I, pag. 170.

de la philosophie, sans savoir ce que c'est que la philosophie, sans avoir déterminé le nombre de systèmes qu'elle a pu et qu'elle a dû produire, l'exposé des opinions dont elle se compose n'aurait aucun lien; ce serait un véritable chaos, une confusion que rien ne pourrait éclairer. Il faut donc entrer dans ce labyrinthe avec un flambeau et un fil conducteur : ce flambeau, c'est l'analyse de l'esprit humain qui doit nous le donner. Quand nous saurons comment la pensée humaine se développe, dans quelles directions elle s'aventure, et que nous aurons rattaché à un point fixe chacune de ces directions, toutes les opinions viendront se classer d'elles-mêmes dans les cadres que nous aurons préparés.

En traçant cet itinéraire de l'esprit humain, nous prenons pour guide M. Cousin, dont on ne saurait trop méditer les profondes et brillantes leçons sur l'Histoire de la Philosophie.

L'esprit de l'homme débute par la religion, par la foi. Dieu est la première conception de l'homme ; cette conception s'empare de son intelligence et la remplit tout entière. Comment, en effet, en présence de la nature si grande, si majestueuse et si terrible, ne pas sentir sa faiblesse, et ne pas s'appuyer sur la force qui a tout créé aussi, au début, l'homme s'absorbe dans la nature. Dieu est tout, tout est Dieu; l'homme ne se sépare point de lui, il y tient, comme l'arbre tient à la terre qui l'engendre et le nourrit. A cette époque, la foi religieuse se prend à tout, et toutes les merveilles de la Création lui servent d'aliment.

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