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sympathiques et antipathiques, la sensibilité est une source féconde de faux jugements. Lorsque l'âme est dominée par l'amour ou par la haine, dans les emportements de la colère ou de l'enthousiasme, dans les tourments de la jalousie, la vue de l'intelligence se trouble et s'éblouit, de faux milieux se placent entre elle et la réalité pour la voiler ou la dénaturer. Sous l'influence de ces affections tyranniques, nous attribuons toute vertu et toute raison à l'objet de nos sympathies, tout vice et toute erreur à l'objet de nos antipathies: c'est ainsi que se forment les jugements de parti dans les luttes religieuses et politiques. Nos erreurs sur les personnes s'étendent aux choses et aux principes; nous fermons les yeux à la pure lumière de l'évidence, et nous y substituons les fausses lueurs de la passion : dans ces luttes funestes, la notion du bien et du mal que Dieu même a placée dans nos âmes pour les diriger, se pervertit et se déplace, la ligne tracée entre le juste et l'injuste confond ce qu'elle devrait séparer.

Cum fas atque nefas exiguo fine libidinum
Discernunt avidi. Hor.

L'amour-propre, qui est le fond de toutes les passions, induit aussi l'esprit dans un grand nombre de faux jugements; l'estime où nous sommes de nousmêmes, nous porte à prendre notre raison pour la mesure même de l'intelligence, de sorte que nous sommes enclins à rejeter comme faux tout ce qui passe notre portée et tout ce qui contredit nos prin

cipes; et lors même que la lumière de la vérité nous éclaire, une secrète envie nous arme contre elle, si elle nous est présentée par d'autres; car en la reconnaissant nous reconnaîtrions en même temps la supériorité d'autrui : ce qui serait une humiliation. Il serait trop long de dresser le catalogue des faux jugements que nous portons sous l'inspiration de l'amour-propre; nous aimons mieux renvoyer nos lecteurs au dix-neuvième chapitre de la troisième partie de la Logique de Port-Royal, qui est un chefd'œuvre de raison et d'analyse.

On peut remédier en partie à ces erreurs par l'attention, lorsqu'il s'agit de celles qui nous viennent du mauvais usage du sens intime, des sens physiques et de la raison.

Celles de l'induction et de l'analogie peuvent être redressées par l'expérience et par le raisonnement, qui nous fait voir dans les conséquences, le vice des principes.

Nous avons indiqué au titre des sophismes, le moyen de se mettre en garde contre les fausses déductions qui tiennent le plus souvent à de faux jugements d'analogie ou d'induction.

Les erreurs de la foi seront combattues avec avantages par le doute Cartésien, qui rend à la raison et à toutes les facultés de l'intelligence leur autorité.

Quant à celles qui nous viennent des passions, comme elles ont pour principe l'orgueil et l'impureté, on ne peut leur opposer que la simplicité d'esprit et la pureté d'affection: ceux qui voudront s'en débar

rasser devront méditer à loisir le passage suivant de . l'Imitation'.

« L'homme a deux ailes pour s'élever de terre : la simplicité et la pureté.

« La simplicité cherche Dieu, la pureté l'atteint et le goûte. >>

Liv. II, chap. IV.

MORALE ET THÉODICÉE.

XXIX.

Objet de la Morale.

La Morale est la science du devoir et des devoirs. Le devoir repose sur la distinction du bien et du mal, du juste et de l'injuste.

La distinction du bien et du mal repose sur l'idée de cause finale, ou d'une fin que la force libre est destinée à accomplir et dont elle peut s'écarter.

L'âme, en tant que force intelligente et libre, est tenue d'aimer et de pratiquer le bien, de haïr et d'éviter le mal, c'est-à-dire de tendre vers sa fin, de marcher dans le sens de sa vocation : cette obligation est la loi de sa nature.

Cette proposition est un axiôme; il faut l'admettre, parce que son évidence frappe tous les esprits. Aussi n'a-t-elle jamais été contestée; les débats de la philosophie n'ont porté et n'ont pu porter que sur un seul point: Qu'est-ce que le bien? ou en d'autres termes, quelle est la fin de l'homme ? C'est ici que commence la discussion.

Le point de fait est inattaquable; l'âme distingue le bien et le mal, le juste et l'injuste, et elle se sent obligée de pratiquer le bien et d'éviter le mal. Cette obligation, c'est le devoir.

Du devoir ou de l'obligation morale dérivent les devoirs ou l'application pratique de la loi générale aux faits particuliers.

La psychologie nous a montré l'âme comme une force douée de sensibilité, d'intelligence et de liberté sous ce triple rapport sa loi, c'est le développement.

:

Le développement de la force moi, n'est pas isolé; il se fait en présence d'autres forces qui ont aussi leur sphère d'action. Cette contiguité établit des rapports de toute espèce, qui limitent et déterminent le développement des forces individuelles.

L'homme, par sa condition, se trouve en rapport avec ses semblables dans sa famille, dans l'état et dans l'humanité; avec la nature, qui est comme lui l'œuvre de Dieu, et avec Dieu, qui est la source commune de toute existence.

Ainsi l'homme, par le seul fait de son existence, est soumis à une loi; l'accomplissement de cette loi, c'est le devoir; mais comme la force libre, ou l'âme ou la personne humaine est en rapport avec un système d'organes, avec des forces semblables à lui, égales à lui, puis avec des forces inférieures, et enfin avec la force suprême, et que toutes ces forces ont des droits qu'il doit respecter, il en résulte qu'il aura des devoirs envers toutes ces forces égales, inférieures ou supérieures à la sienne.

La connaissance de ces devoirs est l'objet de la morale, qui se divisera naturellement en deux parts: la science du devoir et la science des devoirs; la

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