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vait se placer, de la cité descendre à la famille, et non pas de la famille remonter à la cité. Les différences fondamentales sont toutes dans le principe politique : le citoyen ne ressemble pas au citoyen, l'homme ressemble toujours à l'homme. Montesquieu ne s'y est pas mépris, et il fait tout découler du génie politique des peuples. Aussi voyez dans quelle confusion le plan de M. Gans l'a jeté. Il est obligé d'associer les plus grandes idées de l'histoire du monde aux plus minces détails de la vie civile, et de faire passer l'humanité entre la succession en ligne directe et la succession collatérale. Un tel chaos est monstrueux, et, s'il faut le dire, quelquefois ridicule.

Voilà donc nos griefs contre M. Gans. Nous blâmons vivement sa prétention de vouloir importer des vues préméditées dans l'histoire, de vouloir trouver l'humanité et un système égaux et identiques, de méconnaître les obligations et le style de l'historien, d'étouffer la vie du monde et de l'homme sous les abstractions et les formules, enfin d'avoir choisi une unité de sujet peu en rapport avec ses propres desseins et la nature des choses. Disons aussi que son ouvrage, tel qu'il est, fait trop beau jeu à l'école historique pour accuser la philosophie d'un dogmatisme superficiel. Maintenant il nous reste à faire éclater notre sympathie pour l'esprit élevé de l'auteur, qui nous semble bien supérieur à son livre même. On a pu voir dans notre analyse quelle était la portée de ses vues. Tête vaste, synthétique, pour parler le langage de l'école, s'adressant toujours à ce qui est grand et fécond, ingénieux jusqu'à l'audace, M. Gans est certainement un des talents les plus originaux dont puisse se glorifier la haute jurisprudence. Son œuvre

historique est imparfaite et défectueuse, mais elle est une tentative audacieuse, qui décèle des forces peu com. munes et une énergie infatigable qui fera plus encore qu'elle n'a fait.

Le livre de M. Gans devait attirer notre attention. C'est le premier champion qui se soit encore présenté contre l'école historique, et puis son livre est à peu près le seul dans l'histoire du droit qui soit coordonné, composé, écrit, et qui prétende être une œuvre littéraire. Avec le livre de M. Gans nous comptons, dans les rangs opposés, l'Histoire du droit romain pendant le moyen âge de M. de Savigny; encore ce célèbre jurisconsulte n'at-il guère fait, dans les derniers volumes, que joindre des notes à des notes. Enfin, non plus dans l'histoire spéciale du droit, s'offre le grand ouvrage de Niebuhr, l'Histoire de Rome, premier monument de l'Allemagne historique.

Au dessous de ces compositions il n'y a guère dans l'histoire du droit que des traités isolés, des monographies où l'érudition allemande s'alimente et se renouvelle sans cesse. Là point de formes littéraires, de vues systématiques : ce sont, pour ainsi dire, de grandes et simples notes où se dépose la science la plus loyale et la plus ingénue. C'est là proprement le trésor de l'érudition allemande ; c'est là qu'il faut tourner nos regards et nos études. Il est clair qu'aujourd'hui la France, qui en politique et en histoire marche dans des voies si originales, est soumise, dans certaines parties des sciences morales, à l'influence de l'Allemagne, comme au commencement du dix-huitième siècle nos pères ont reçu mouvement et l'action de l'Angleterre. Eh bien! sachons, en jurisprudence, raisonner cette influence inévitable

le

qui sera d'autant plus salutaire que nous en aurons plus conscience et la subirons moins à notre insu. L'Allemagne par ses travaux a renouvelé la science et l'histoire du droit : étudions-les avec admiration, reconnaissance et liberté ; appuyons-nous sur son érudition, prenons-la pour notre point de départ; transportonsnous par de vastes lectures à Heidelberg et à Jéna pour y apprendre ce que nous ignorons, et mettons-nous franchement à l'œuvre. Alors, quand, par de longues méditations et un discernement laborieux, nous nous serons assimilé ce que l'érudition de nos voisins et de nos maîtres a de plus précieux et de plus pur, nous devrons tenter de coordonner tant d'éléments divers,de porter la critique et la méthode au milieu de tant de richesses, de résumer et d'écrire tant de découvertes, et de le faire avec la double indépendance de l'esprit individuel et du génie national. La division du travail est une loi dans le monde de l'intelligence comme dans celui de l'industrie, pour les peuples comme pour les individus. La France doit s'instruire à l'école de l'Allemagne, non pour l'imiter, mais pour faire autre chose que ce qu'elle a fait. C'est par cette répartition du travail, comprise de plus en plus par les nations, que la science humaine s'étend infiniment, devient universelle et véritablement cosmopolite.

GESCHICHTE

DES

ROEMISCHEN RECHTS

IM MITTELALTER, ETC.

HISTOIRE

DU DROIT ROMAIN

PENDANT LE MOYEN AGE,

PAR M. DE SAVIGNY.

QUATRE VOLUMES. - HEIDELBERG, 1814-1826.

Dans l'histoire des institutions et des idées qui ont exercé sur le monde une influence puissante et durable, le droit romain ne joue certainement pas un rôle secondaire. Quelle fut sa primitive origine, on l'ignore encore; mais quelle fut sa destinée, le monde le sait, puisque encore aujourd'hui il est soumis en partie à ses prescriptions et à ses doctrines. Une législation, dont le berceau se perd dans les traditions et les mythes de l'antique

Italie; qui peu à peu se dégage des voiles et des images du symbole, pour arriver à la raison sévère et à la précision du génie politique; qui, à la faveur des conquêtes et sur les traces de l'aigle romaine, envoie ses préteurs asservir à ses règles une partie du monde; dont, sous les ruines de la république, et sous la domination impériale, l'essor scientifique et littéraire est demeuré l'immortel enseignement de toutes les législations; qui, respectée du christianisme, a mis à côté de la morale du Christ ses principes empruntés au Portique; que l'invasion des peuples barbares n'a pas emportée dans son torrent, mais qui, restant le droit des vaincus, à côté des lois salique et ripuaire, modifie peu à peu le droit et les mœurs des vainqueurs, et, après un empire silencieux de quatre siècles, se réveille brillante en Italie; de son antique patrie passe en Allemagne, où elle devient le droit commun; en France, où elle gouvernait déjà en maîtresse la moitié du territoire; et qui enfin, outre sa puissance positive, subsiste au milieu des législations modernes, comme un monument indestructible et comme l'éternelle et mystérieuse école des jurisconsultes et des penseurs voilà quel est le droit romain, sa puissance et sa durée.

Ce qui frappe dans sa destinée, c'est sa permanence, je dirai presque son immortalité. Depuis les premiers rois de Rome (jus papyrianum) jusqu'à nos jours, il a toujours agi sur les sociétés, et cela sans interruption, sans interrègne. Cependant, malgré le témoignage de l'histoire, il s'était accrédité une étrange opinion on s'était imaginé qu'un jour l'invasion et la domination des barbares avaient entièrement fait disparaître le droit romain, et qu'un autre jour, à plusieurs siècles de dis

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