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nation; elle y eut son culte, ses mœurs et ses coutumes. Opprimée, elle trouva dans son sein un homme supérieur, qui se fit son chef et son législateur : Moïse tira les Hébreux d'Égypte, et leur écrivit des lois. Sa législation s'appuie sur les mœurs et les coutumes des Hébreux; tantôt elle les confirme, tantôt elle les épure, tantôt elle les abroge. Sans doute Moïse innova beaucoup; mais, bien qu'au dessus de son peuple, il avait affaire à lui, et dut respecter beaucoup d'institutions. Aussi, dans ses prescriptions, se réfère-t-il souvent aux anciennes mœurs, aux coutumes des pères et des ancêtres. Il fit donc deux choses à la fois : il écrivit les mœurs et les changea, rédigea les coutumes et les abolit, et se montra tour à tour adorateur zélé de l'antiquité et révolutionnaire implacable '..

Rome avait vécu trois cents ans avec ses croyances, ses coutumes, son droit divin et symbolique; mais, parvenue au quatrième siècle de son ère, elle sentit le besoin de faire transiger entre eux les patriciens et les plébéiens, d'effacer les différences de chaque population qui s'agitait dans son sein, de poser au milieu de tant d'origines diverses un fondement national, romain. Alors la loi des XII tables fut établie sur tous : loi politique, elle sut façonner et plier les intérêts et les droits civils; elle reconnut un roi dans la famille, un propriétaire absolu qui vendait ses enfants comme ses esclaves, et qui, devant le peuple romain, pouvait tester d'une manière souveraine et illimitée. A côté de la puissance

• C'est pourquoi, dans l'étude des institutions de Moïse, il faut se garder de négliger les origines et les antécédents. Voyez Michaëlis, Mosaïsches Recht.

testamentaire, elle éleva un système de succession ab intestat, en harmonie avec le partage des terres. Elle statuait aussi qu'un an suffisait pour attribuer au possesseur acquérant de bonne foi la propriété d'un meuble, deux ans la propriété d'un fonds. Partout enfin la loi politique maîtrisait la loi civile: aussi, bien que les XII tables ne nous paraissent pas, comme à Cicéron, supérieures à tout ce qu'ont écrit les philosophes, il faut reconnaître dans sa rédaction concise une unité de principes, une rigueur de conséquences, qui font un honneur infini à la plume patricienne : c'est un morceau d'artiste en législation logique.

Mais les nations où le droit a vécu le plus longtemps sous la forme et la physionomie des mœurs sont les nations germaniques. Rien ne ressemble à la civilisation et à la liberté des Germaing chez eux la liberté consistait à ce que tout homme ihre pût et osât faire tout ce qu'il avait la volonté et la force d'accomplir, tant par lui-même que par ses proches et amis'. Il pouvait être vaincu par un plus fort que lui, mais il n'avait pas à craindre la répression immédiate de l'autorité. Cette liberté s'appelait faïda. Le Germain n'en faisait usage que pour les dommages qu'il recevait dans son corps, dans son honneur et dans son bien, et surtout pour venger la mort d'un parent. A côté du faïda était la composition, usage et institution parallèle qui tempérait par ses transactions les satisfactions terribles exigées par l'honneur offensé. Mais le même homme, tout à l'heure violent, inexorable, vous le dans les débats litigieux de la vie commune,

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Rogge, Ueber das Gerichtswesen der Germanen.

pour l'exécution des contrats, le paiement des dettes, la garantie de la propriété, s'en remettre toujours à la justice de ses pairs. Ce mélange de liberté sauvage et d'obéissance pieuse envers le droit du pays donne au caractère germain une harmonieuse beauté : aussi, que de grandeur et d'énergie dans les coutumes judiciaires de ces races! et puis, dans leurs mœurs domestiques, que de scènes enchanteresses de grace et de naïveté !

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Tacite nous a laissé d'incontestables preuves de la vigueur du droit non écrit chez les Germains. « Eli» guntur in iisdem conciliis et principes qui jura per » pagos reddunt. Centeni singulis ex plebe comites con» silium simul et auctoritas adsunt 1. » Voilà pour la justice civile. La justice criminelle n'avait pas moins de force. « Licet apud concilium accusare quoque et dis>> crimen capitis intendere. Distinctio pœnarum ex de» licto. Proditores et transfugas arboribus suspendunt, ignavos et imbelles, corpore infames, cœno ac palude injecta super crate mergunt 2. » Les moindres délits avaient de moindres peines. « Sed et levioribus delictis, modo : pœna equorum pecorumque numero con>> victi mulctantur; pars mulctæ regi, vel civitati, pars ipsi qui vindicatur, vel propinquis ejus exsolvitur. » Tacite relate le droit de composition: « Luitur enim » etiam homicidium certo armentorum et pecorum nu» mero. » Il faut abréger; je ne citerai pas le chapitre sur le droit de succession. Le principe de la succession germanique était la consanguinité : les Germains ne con

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De moribus Germanorum, cap. 12.

2 Ibidem.

naissaient pas la succession testamentaire; Tacite l'a dit: Nullum testamentum '.

Tant que les Germains n'eurent pas conquis le monde, ils gardèrent leurs mœurs et ne les écrivirent pas; mais, conquérants et vainqueurs, ils ne vécurent plus que sous l'influence des Romains et sous le pontificat du christianisme. S'ils avaient vaincu, c'était pour s'abolir eux-mêmes, pour se perdre dans des nations et une civilisation nouvelle, pour régénérer la vieille Europe de leur sang vigoureux aussi, dans les États qu'ils viennent de fonder, dans leurs nouveaux royaumes, leurs mœurs indigènes se décolorent, leurs coutumes s'altèrent; il faut les écrire, non dans l'idiome national, mais dans la langue des vaincus, souvent avec leurs pensées; et la fière Germanie vient se réduire aux proportions des tristes écritures que nous avons sous les noms de loi salique et ripuaire 2.

L'Allemagne a toujours été préoccupée, dans son poétique patriotisme, des premiers jours de son histoire, de son berceau, de ces temps primitifs antérieurs à la conquête où elle jouissait d'une jeunesse si vive et si féconde en souvenirs, que ses poètes et ses historiens ont à l'envi célébrés. Mais ces derniers, avec leurs hypothèses et leur érudition, n'ont encore rien élevé de définitif et de stable : l'Allemagne attend encore un monument, un nouvel et moderne De moribus Germanorum qui ressuscite et consacre sa poétique histoire. La tâche est difficile; il y faudrait la plume et le génie d'un Tacite ou d'un Châteaubriand: il s'agit de chanter et de juger

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à la fois une civilisation lointaine, de critiquer et de peindre une merveilleuse antiquité, et de laisser à une grande nation, en caractères ineffaçables, un testament immortel du berceau, de la religion et du passage de ses pères.

CHAPITRE III.

DU DROIT ARRIVANT A LA FORME SCIENTIFIQUE. THÉORIE

DU DROIT POSITIF.

De la conscience humaine le droit a donc passé dans la réalité et l'application de l'histoire, et il s'y est montré d'abord sous la forme des mœurs, puis sous les formules de la législation. Nécessairement ce qui est l'objet d'une pratique si active doit bientôt se réfléchir profondément dans la pensée de l'homme; aussi la théorie vient après la législation, la science après l'action. L'histoire en rend témoignage. Quand les mœurs cessent d'être simples, quand les rapports des citoyens se compliquent, quand les traditions s'effacent et s'altèrent, quand les croyances religieuses sont inquiétées par quelque opinion nouvelle, la pratique des coutumes et des pensées paternelles ne suffit plus : tout ce qu'elles ont d'incomplet, de rude, de puéril, de gauche, frappe les yeux; on soupçonne, on conçoit d'autres idées; les théories du droit changent, s'agrandissent, ou plutôt

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